La mort lente et forcément douloureuse des salles d'arcade ayant bercé nos enfances aura entrainé le déclin de quelques genres typiques du support, bien à la peine pour s'adapter à de nouvelles pratiques. Heureusement, la scène indépendante ne manque pas d'idées pour redonner des couleurs à certains d'entre eux, en témoigne le caustique Say No! More, qui mélange sans rougir les mécaniques d'un bon vieux rail shooter avec une critique en bonne et due forme du monde de l'entreprise.
Que les as de la gâchette reposent tout de suite leurs pétoires de plastique : il n'est ici pas question de viser entre les deux yeux vos pénibles collègues qui mastiquent la bouche grande ouverte où pratiquent la procrastination à un niveau olympique. Que nenni. S'il fallait vraiment lui trouver une lointaine parenté, le jeu du studio Fizbin se situerait sans doute quelque part entre The Typing of the Dead et Incredible Crisis. Un truc comme ça.
There's no limit
Notre aventure commence alors qu'un jeune trentenaire au statut précaire décroche le Graal de sa génération : un petit boulot d'intérimaire au sein d'une entreprise tentaculaire, et aux locaux évidemment imposants, pour ne pas dire écrasants. Dans l'espoir de pouvoir enfin payer son loyer en personne, notre héros (ou héroïne, le jeu laissant le choix entre une douzaine de profils toujours hauts en couleurs) se jette dans la gueule du loup, et découvre l'univers impitoyable qui l'attend, fait de servitude et d'acquiescements permanents.
Aux côtés de ses frères et soeurs d'armes, notre travailleur précaire se voit rapidement relégué au fin fond d'une remise, l'occasion de mettre la main sur un baladeur cassette (si si) accompagné d'une méthode de développement personnelle originale. Après s'être fait secouer par un coach bien dans son époque, le voici doté d'un pouvoir surpuissant : celui de dire NON!
Oh mais j'ai Graeber
Dès lors, notre intérimaire devient un être à part, puisque la négation est ici élevée au rang de tabou, comme le-mot-que-l'on-ne-doit-pas-prononcer. Le voici donc à même de récupérer son déjeuner, tout juste chapardé par son supérieur, et avec le sourire par-dessus le marché. Say No! More prend dès cet instant des allures de rail shooter verbal, dans lequel il convient de renvoyer tous vos interlocuteurs dans leurs 22, en leur assénant un implacable refus. Pas de munitions, ni de zombies, donc, mais les sensations sont finalement les mêmes : on enchaîne les situations sans se prendre la tête, et malgré une répétitivité inhérente au genre, on profite d'une écriture ô combien sarcastique sur le monde de l'entreprise et ses sourires de façades.
Peu à peu, le gameplay tente de varier les plaisirs, alors que les NON! se diversifient, du froid au tonitruant, et le coach azimuté de nous offrir quelques armes secondaires, entre applaudissements sarcastiques et autres rires moqueurs, histoire de déstabiliser les CDI avant de les envoyer balader. Malgré ces quelques ajouts, la formule ne s'en trouve pas franchement bouleversée, et c'est surtout pour découvrir de nouvelles situations loufoques que l'on continuera de courir après cette fichue lunchbox.
L'ascenseur social est en panne
Il faut dire que Say No! More ne cherche pas particulièrement à étaler plus que de raison son propos, et opte pour un parti-pris visuel à l'ancienne, période 32-bits. Entre couleurs saturés et personnages cubiques, cette direction artistique permet quelques gags visuels bien dans le ton, qui renforcent l'ambiance loufoque au possible d'une aventure d'abord pensée pour faire rire. La mise en scène s'enfonce peu à peu dans le grotesque, alors que les affrontements verbaux prennent des airs de combat aux accents Toriyamaesques, et permettra aux joueurs réceptifs d'oublier la redondance d'un gameplay assez sommaire.
Qu'on se le dise : la brièveté de Say No! More n'est pas compensée par une particulière rejouabilité, et il faudra forcément le prendre pour ce qu'il est : une bonne blague enrobée d'une critique qui met à mal la servitude des travailleurs exploités, et rappelle que le concept de bullshit jobs décrit fort bien l'époque dans laquelle nous vivons. Ceux qui savent où ils mettent les pieds passeront donc quelques courtes heures un sourire aux lèvres... avant de passer à autre chose.